Né en 1954, ingénieur des Mines de Saint-Etienne, j'ai été informaticien toute ma vie professionnelle. Après un début en société de services, j'ai travaillé dans l'informatique de Carrefour (Promodès avant sa fusion avec Carrefour) en interne puis comme prestataire IBM jusqu'à ma retraite officielle en 2017. Je vis actuellement en Saône et Loire à côté de Mâcon.

La guerre d’Ukraine – Carte de l’invasion russe le 4 mars 2022
Source : Wikipedia, Auteur : Viewsridge and others
Creative Commons Attribution – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

C’est la guerre en Ukraine. Le 24 février 2022, la Russie a envahi l’Ukraine. Nous sommes tous sidérés par cela. On n’avait pas vécu quelque chose d’aussi grave en Europe depuis la deuxième guerre mondiale. C’est pire que la guerre qu’on a connue en ex-Yougoslavie. Cela rappelle l’agression de Hitler contre la Pologne en 1939 qui avait déclenché la deuxième guerre mondiale.

Malgré la propagande russe, rien ne saurait justifier cette montée aux extrêmes brutale qui nous ramène 80 ans en arrière. On ne peut que s’indigner devant toutes ces images atroces qui envahissent nos écrans. On peut aussi avoir peur d’une extension du conflit avec une puissance surarmée capable de détruire plusieurs fois le monde avec ses armes atomiques.

Il est temps de méditer la maxime d’un des plus grands écrivains américains de science-fiction, Isaac Asimov : « la guerre est dernier refuge de l’incompétence ».  Je crois en la justesse de cette phrase. Nous sommes devant ce qu’Asimov appelait « une crise Seldon » dans son cycle de « Fondation » (1), suite de romans cultes célèbre à juste titre.   Il y décrit une suite de crises gravissimes qui ne pouvaient pas être résolues par l’emploi de la force brute et les émotions. Ces crises étaient à chaque fois résolues par l’intelligence des intervenants.

Ce qui se passe en Ukraine est similaire. On évitera donc se laisser emporter par nos émotions négatives, cela court-circuite un peu trop le cerveau.

 

La tentation de l’émotion qui submerge tout

Les images de la guerre en Ukraine nous prennt à la gorge. L’émotion légitime qui nous saisit ne doit pas cependant nous empêcher de réfléchir. Rien ne serait pire que de céder à une colère irraisonnée dans laquelle certains irresponsables voudraient nous entraîner. On doit se méfier du discours unilatéral des médias ou de certains va-t-en-guerre. Gare aux sirènes de certains manipulateurs d’émotions. Ce sont les mêmes qui nous ont précipité dans la guerre en Lybie. Cela a causé une déstabilisation de toute la région bien pire que ce contre quoi on est intervenus. On n’a pas fini d’en payer le prix 10 ans après.

Gardons-nous aussi de céder à la tentation de juger les autres comme des méchants et nous comme les bons. Les Américains en Iraq ont prouvé qu’ils se foutaient du droit international. Les Russes ne font que suivre le mauvais exemple que les Américains ont donné en bombardant et en envahissant l’Iraq. De plus, les manœuvres agressives des Américains dans les dernières années en Europe ont largement contribué à la paranoïa russe. Malgré leurs grands discours, ils ont l’air très contents de ce qui se passe en Europe. Après tout, la guerre en Europe, c’est loin de chez eux ! C’est là un calcul d’une ignorance et d’une incompétence crasse. Nous vivons dans un monde interdépendant. Ce qui se passe à un bout de la planète a des conséquences sérieuses sur le monde entier.

 

Comment on en est arrivé là ?

Morcellement de l'URSS en 1991

Morcellement de l’URSS en 1991
source : https://www.laclassedhistoire.fr/

Un peu d’histoire est nécessaire pour mieux comprendre ce qui se passe devant nos yeux.

La chute de l’URSS

Les évènements présents sont une conséquence de la chute de l’URSS (2) en 1991. Cet évènement a traumatisé les Russes dont l’état du jour au lendemain a disparu.

Un seul coup d’œil à la carte nous montre comment la Russie a rétréci à la chute de l’URSS. J’avais ressenti cela très fort quand j’avais visité la Russie en 2003 : ils en voulaient beaucoup à Gorbatchev et à Eltsine, et aussi aux Occidentaux,. J’avais été aussi surpris d’entendre le ton des réflexions dans la rue sur les Français de notre groupe : ce n’était pas le grand amour, bien loin de là, il y avait même un ton plutôt méprisant. Qu’une volonté de revanche se soit faite jour n’est donc pas surprenant.

 L’histoire de la région

L’Ukraine au Moyen-âge (3) (4) a été le berceau de la Russie, puis elle a pris un autre chemin, absorbée par ses voisins de l’ouest (Pologne et Lituanie) pendant que les Russes se débattaient avec les Mongols de la Horde d’or qui les avaient envahi et asservi. La Russie a mis au moins 3 siècles à les refouler, et cette invasion horrible a laissé des traces profondes dans la mentalité russe. Puis, à partir du 16 siècle, les tsars ont pris le dessus. La Russie s’est étendue démesurément à l’est, a refoulé la Pologne, conquis toute l’Ukraine.  Pour finir, elle a même dominé pour un temps la Pologne, les Pays Baltes, et la Finlande au 19ème siècle. Les communistes au 20ème siècle n’ont fait que continuer l’empire des tsars.

Ce n’est qu’en 1991, à la chute de l’URSS, que ce qu’on a appelé la prison des peuples s’est ouverte.  Beaucoup de Russes n’ont jamais accepté cela. La perspective pour la Russie de redevenir une puissance secondaire n’est pas une option pour eux, ils rêvent de reconstituer l’URSS dans toute sa puissance. C’est là tout le ressort de l’action de Poutine depuis qu’il est au pouvoir. Du point de vue de certains Russes, une Ukraine indépendante, ça n’existe pas, ça n’a jamais existé, c’est le même peuple qu’en Russie.

Pourtant, un nationalisme ukrainien a commencé à s’exprimer très fortement dès le 19ème siècle. Du temps de l’URSS, les communistes ont créé une république d’Ukraine. Ils ne pouvaient pas imaginer que lorsque l’URSS éclaterait en 1991, toutes ces républiques autonomes deviendraient des états indépendants. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, un nationalisme exacerbé a déjà conduit à de nombreuses guerres comme en ex-Yougoslavie. Les populations d’origine et de langue russes dispersées dans les différentes républiques continuent à regarder vers la mère patrie. En Russie même, beaucoup, surfant sur le sentiment de revanche de la population, exploitent cela.

Le sentiment de peur des Russes

Un sentiment d’insécurité envahit facilement les Russes, malgré l’immensité de leur territoire. Le pays n’a pas de frontières naturelles. Il a subi des invasions dévastatrices dans le passé : l’invasion des Mongols au 13ème siècle, Napoléon en 1812, Hitler en 1941. Tout ceci a laissé des traces profondes accentuées par la période communiste et sa mentalité de forteresse assiégée.
Il en résulte une agressivité constante vis à vis de l’extérieur. Pour ne pas être envahi, on préfère attaquer d’abord. La Russie a donc fréquemment envahi ses voisins dans l’histoire. Poutine est le digne héritier de tout cela. Cela génère en retour une peur des Russes par tous ses voisins, et cette hostilité entretient la peur en Russie.

 Poutine au pouvoir en Russie

Poutine, depuis qu’il est arrivé au pouvoir en Russie en 1999 (5), a exploité le sentiment de revanche du peuple russe. Animé par une volonté de puissance démesurée, il a juré de redonner à la Russie sa grandeur d’antan, celle des tsars. On aurait grand tort de le sous-estimer vu ses capacités remarquables et son manque de scrupules total. Ancien du KGB, il n’a jamais hésité à employer la violence quand il le jugeait nécessaire depuis qu’il est au pouvoir. Il y a déjà eu plusieurs exemples de cela, en commençant par la Tchétchénie, puis la Géorgie. Ce fut ensuite l’annexion de la Crimée et la guerre du Donbass qu’il a soigneusement entretenue. Maintenant, il fait la guerre à l’Ukraine en l’envahissant.

Ceux qui pensent qu’il s’arrêtera là se font de douces illusions. Cela fait des années qu’il réarme son pays et qu’il se prépare. Il recommencera donc, ce n’est qu’une question de temps. Le plus grave dans tout cela est que s’il sent qu’il a peu de résistance, et qu’il a réussi son coup sans trop de casse, il n’hésitera pas à aller beaucoup plus loin.  La Biélorussie et les Pays Baltes sont à n’en point douter ses prochaines proies. C’est donc un homme à prendre au sérieux, car il dit ce qu’il va faire, et les actes suivent toujours les paroles. Mais c’est loin d’être le fou que certains nous présentent, c’est au contraire un homme au sang froid, avec une volonté de fer, et d’une intelligence hors du commun. La plupart des dirigeants qu’il a en face de lui ne lui arrivent pas à la cheville, ce ne sont pas des bonnes paroles qui peuvent l’impressionner.

La démission de l’Europe

Cela fait longtemps que l’Europe a collectivement démissionné en matière de défense. Elle a réduit à l’excès ses budgets militaires et compte exclusivement sur les Américains pour la défendre. L’Europe est désarmée, une situation périlleuse dans un monde de prédateurs dangereux. La France malgré ses rodomontades et quelques actions ponctuelles de par le monde, ne fait pas exception au reste du continent, vu la faiblesse de ses moyens militaires actuels.
Pourtant, vu la masse de sa population et sa puissance économique, l’Union Européenne aurait largement de quoi se faire respecter si elle le voulait.

Le jeu trouble des Américains depuis au moins 30 ans

Longtemps, les Américains ont défendu l’Europe contre l’expansionnisme soviétique. Ils ont trop complètement réussi quand l’URSS a éclaté en 1991. Là, ils ont perdu une occasion unique. La Russie était à la dérive à ce moment-là et tendait la main à l’Europe et à l’OTAN. On oublie que Poutine a même demandé à intégrer l’OTAN au début des années 2000. Tout cela a été dédaigneusement rejeté par les Américains. Au contraire, surfant sur la peur des Russes de la part des peuples de l’est de l’Europe, ils n’ont eu de cesse d’étendre toujours plus vers l’Est l’OTAN au mépris de leurs engagements. En retour, cela a alimenté la peur chez les Russes, augmentant d’autant leur agressivité.

Tout à leur volonté égoïste de puissance, les Américains se sont crus les maîtres du monde. Ils ont envahi l’Iraq au mépris du droit international, et ont gonflé à l’extrême leur budget d’armement. Le Moyen Orient et l’Afghanistan porteront longtemps les stigmates de leurs actions. Le terrorisme islamique s’est nourri des humiliations qu’ils ont infligé aux Arabes. Tout cela leur a coûté très cher et a déclenché une réaction contre eux dans le monde entier, les amenant à reculer partout.

On ne peut que constater par ailleurs que les Américains se désintéressent de plus en plus de l’Europe, préférant tourner leurs énergies vers le Pacifique.

La mollesse de Biden

Le président Biden est arrivé au pouvoir en 2021. On ne peut pas dire qu’il a fait des étincelles sur le plan extérieur. Il y a eu ainsi la débâcle en Afghanistan. Elle est tout à fait comparable à celle du Vietnam en 1974, comme si les Américains n’avaient rien appris. Le mépris de l’Amérique pour ses alliés européens s’est aussi manifesté par le calamiteux sabordage du contrat des sous-marins français en Australie. Ce fut une véritable gifle donnée par l’Amérique à la France, pourtant son alliée. Enfin, dans la période récente, cela fait des semaines que les Américains crient au loup tout en prévenant à l’avance qu’ils n’interviendront pas en Ukraine. C’était un feu vert clair donné aux Russes : il était évident que la simple perspective de sanctions économiques n’allait pas les faire reculer.

Biden prétend qu’il ne supportera pas que le moindre centimètre carré de territoire de l’OTAN soit envahi. On peut clairement douter de sa résolution quand on voit ce qui s’est passé depuis qu’il est au pouvoir. On peut craindre que l’Europe ne soit un peu seule devant la Russie. Poutine sait tout cela, c’est un des ressorts de son action.

Les responsabilités ukrainiennes

L’analyse ne serait pas complète si on oubliait ce point. Les Ukrainiens sont les agressés, mais qui pourra prétendre qu’ils ont été tout blancs dans le passé. Ils ont signé les accords de Minsk qui prévoyaient notamment une large autonomie aux territoires sécessionnistes de l’est. Cependant, ils ont toujours refusé de les appliquer, et ont harcelé militairement ces territoires depuis 8 ans, prétendant répondre à des attaques des sécessionnistes. Même s’il y a sûrement du vrai là-dessus, on peut difficilement croire que tous les torts sont d’un seul côté.  Ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’avec un voisin agressif comme la Russie de Poutine, beaucoup plus fort militairement qu’eux, c’était un jeu dangereux. La haine réciproque bien entretenue de part et d’autre a exacerbé le conflit. On a ainsi fourni un prétexte tout trouvé aux Russes pour intervenir. Toute résolution du conflit devra adresser ce point.

 

Un peu de géopolitique et de prospective

Le portail de l'historionomie de Philippe Fabry

L’historionomie (6) est une étude des cycles dans l’histoire développée par un universitaire, Philippe Fabry. Il y étudie notamment les analogies historiques entre le parcours de Napoléon, Hitler, et Poutine, largement à venir pour ce dernier. À chaque fois, une grande catastrophe a été à l’origine des évènements : la défaire de la France face à l’Angleterre en 1753, à l’issue de la guerre de 7 ans, elle y a perdu quasiment toute ses colonies ; la défaite de l’Allemagne en 1918 ; la chute de l’URSS en 1991. Il décrypte les analogies entre ces évènements, et s’en sert pour prédire le parcours de Poutine. Ses analyses écrites en 2015 en prennent d’autant plus de relief, car il prédit que Poutine attaquera l’Europe :

Un autre article prophétique prédisait en 2019 l’invasion de l’Ukraine par la Russie :

Certes, le futur n’est pas écrit, mais tout cela fait sacrément réfléchir, car l’auteur décrit des mouvements de fond, et les coïncidences historiques montrées sont très troublantes.

 

Que faire ?

On jacte beaucoup actuellement, et l’Occident met en place des sanctions soi-disant drastiques pour mettre à genoux la Russie. On peut craindre que ce ne soit une belle illusion : les sanctions dans le passé n’ont jamais eu beaucoup d’efficacité pour faire reculer un pays, même si elles ont pu avoir un effet sur le plan économique.

Aider l’Ukraine

Je ne suis pas devin. Il est cependant peu probable que l’Ukraine pourra être sauvée en l’état, vu la disproportion des forces maintenant que le conflit a éclaté et que l’armée russe déferle en Ukraine. Nous devons tout faire pour aider ce pays, s’il est encore temps, y compris l’aider à se défendre. Le coût de l’agression pour la Russie doit être le plus élevé possible. Les pays européens semblent l’avoir compris, on verra si des actes concrets suivent ces belles paroles.

Se préparer à toute éventualité

Il est urgent pour l’Europe de se réarmer très sérieusement. Elle doit arrêter de compter exclusivement sur les Américains pour sa défense. Les intérêts de l’Amérique ne sont pas ceux de l’Europe, et les Américains considèrent de plus en plus l’Europe comme un concurrent à contrôler plutôt que comme un allié. Le général de Gaulle ne raisonnait pas autrement en son temps. C’est ce qui l’a conduit à l’époque à créer la force de dissuasion française, et à quitter le commandement intégré de l’OTAN. Cela ne l’a pas empêché de soutenir résolument les Américains lors de la crise de Cuba. Il a été alors un allié résolu et ferme.

Aujourd’hui, on doit se préparer à faire face le moment venu aux prochaines agressions russes, et les dissuader autant que possible. Notre force de dissuasion a le mérite d’exister, mais son emploi détruirait le monde. Si notre armée conventionnelle reste toujours aussi faible, cette protection risque de ne pas être suffisante en cas de submersion de l’Europe. À contrario, si nos forces militaires et notre résolution sont suffisantes, on a peut-être une chance d’éviter un nouveau conflit. L’Allemagne commence à le comprendre et a décidé d’augmenter fortement son budget militaire. On attend toujours des actes similaires côté français où on se limite pour le moment à de belles et fortes paroles, autrement dit du vent. Si on ne se prépare pas de notre côté, ce sera un encouragement à l’agression donné aux Russes, et on sera à poil la prochaine fois comme on l’est maintenant.  L’Europe a une masse et une économie plus que suffisante pour peser par elle-même, encore faut-il le vouloir.

Restaurer la paix, et  ouvrir une perspective  pour le futur

Il ne s’agit pas de faire la guerre à la Russie si on peut l’éviter. Une guerre généralisée nous détruirait tous. Nous partageons le continent européen avec les Russes. Nos intérêts nous poussent donc à une entente avec eux une fois que l’agression aura cessé. On doit donc viser à faire cesser l’agression en cours au plus tôt et en éviter de nouvelles. Ceci passe par un dialogue exigeant à maintenir avec la Russie. On doit aussi agir sur les causes profondes du conflit de manière à avoir une chance de l’apaiser durablement.

On doit enfin rendre la guerre inconcevable dans l’est de l’Europe en apaisant les peurs et le besoin de sécurité des Russes et de tous les peuples de l’Est de l’Europe. La paix armée et les manœuvres louches de grandes puissances extra-européennes ne sont pas une solution. Rappelons-nous le grand rêve du général de Gaulle, l’Europe de l’Atlantique à l’Oural.

Une perspective audacieuse pourrait être à terme l’ouverture de l’Union Européenne à tout l’est du continent européen, Russie incluse. Malgré tous ses défauts, la construction européenne a au moins apporté une paix et une réconciliation durable entre des peuples qui se haïssaient. La même recette devrait être utilisée à l’Est de l’Europe. Ce serait le moyen le plus sûr de garantir une paix durable sur le continent. On enlèverait ainsi tout aliment à toutes les paranoïas nationalistes qui se nourrissent des peurs réciproques entre peuples.

 

Michel Renouleau – finalisé le 5/3/2022

Ressources

Quelques ressources pour s’informer et en savoir plus :