Émile BRUNOT : Lettres d’un poilu
Émile Brunot, mon grand-oncle, a été un poilu de la Grande Guerre. Né en 1895, il était le seul fils d’une famille du Nord avec plusieurs filles.
Il a été mobilisé à 19 ans fin 1914 après avoir fui le Nord occupé par les Allemands en Octobre 1914. Après une instruction de quelques mois assez dure, il est arrivé sur le front dans les tranchées courant 1915. Il y resté jusqu’à son décès à l’âge de 21 ans en mai 1917 dans une bataille horrible au Mont Sant Nom dans la Marne comme la Grande Guerre en connaîtra tant. Il n’avait jamais revu sa famille depuis son départ du Nord en octobre 1914.
Nous avons toutes les lettres qu’il a écrit à sa tante et sa famille alors qu’il était poilu. Ceux-ci vivaient en région parisienne. Il allait chez eux en permission. Ces lettres sont admirables, et révèlent un jeune-homme plein de personnalité, mais sans aucune illusion devant la boucherie dans laquelle il se trouvait. Il a vécu comme poilu des vertes et des pas mures, un vrai calvaire. J’en ai fait un livre pour la famille : c’est un témoignage inestimable et poignant sur cette époque douloureuse.
Il est difficile de parler de lui sans émotion, vu son destin tragique comme beaucoup de jeunes-gens fauchés dans la fleur de l’âge à cette époque. Son souvenir mérite d’être retenu, car c’était une belle personne.
À titre d’extrait, ci-joint deux courriers qu’il a envoyés.
Michel Renouleau – revu le 19/04/2022
Lettre du 15 juillet 1916 : la pleine conscience de la boucherie en cours
15 juillet 1916
Cher Oncle, Tante et
Cousins
De retour de Bœuf, où je viens de passer un stage pour apprendre le maniement d’une nouvelle bombe à fusil.
Je m’empresse de vous envoyer quelques mots pour vous donner de mes nouvelles qui sont pour l’instant assez bonnes quoique je vienne de passer encore 3 jours dans d’horribles coliques. Enfin, maintenant, c’est passé, n’en parlons plus.
Ici, nous attendons le grand coup des Anglais (quel bluff). Ce n’est pas la peine de crier victoire sur les journaux, nous savons très bien que le résultat obtenu est celui que nous attendions, c’est-à-dire quelques milliers de tués de plus à marquer sur le grand livre rouge de cette terrible guerre. Enfin, ces messieurs sont contents, ils vont pouvoir renouveler leur bain avec du sang chaud de nos malheureux camarades morts pour la défense des capitaux de cette caste maudite.
Par la même occasion, je vous envoie une photo amateur, vous y reconnaîtrez notre ami Ancelin avec sa croix de guerre gagnée dans la fournaise de Verdun.
J’espère que la présente vous trouvera toujours en parfaite santé et en attendant la fin de drame terrible qui nous permettra de nous revoir tous réunis, je vous embrasse bien fort tous.
Émile Brunot
NB : Les mots sont forts. Émile ne se faisait aucune illusion sur les offensives à tout prix, une boucherie. C’était le credo des armées françaises et anglaises de l’époque. Il n’avait de même aucune illusion sur la propagande mensongère qui avait cours dans les journaux (pas une nouveauté de notre temps, manifestement!). On peut comprendre rétrospectivement les mutineries de 1917 lorsque des soldats se révolteront contre cela. Il nous a laissé d’autres lettres toutes aussi fortes.
Carte du 30 août 1916 : le cri d’amour à sa famille
Cette petite carte admirable et pleine d’humour a été écrite au front, à 23h30 le 30 août 1916, et c’est en vers ! On peut y voir, dans tout le noir que vivait Émile au quotidien, un immense cri d’amour envers les siens :
Je pense à vous, quand le soleil se lève,
J’y pense encore à la fin de son cours,
Et si parfois pendant la nuit je rêve,
C’est au bonheur de vous revoir un jour.
À lire ces mots, l’émotion monte en nous en pensant à ce destin brisé.
Mai 1917 – fauché dans la bataille
Source : mémoire des hommes
Le lieu où notre poilu familial a été tué le 28 mai 1917 est un endroit au nom innommable, en Champagne : il s’appelle le Mont-Sans-Nom. La bataille qui a eu lieu du 24 mai au 15 juin 1917 dans le secteur a été atroce et acharnée, comme il y en a eu tant dans cette guerre.
Ceci est confirmé par l’histoire du 101ème régiment d’infanterie (1) d’Émile Brunot. La 10ème compagnie à laquelle il appartenait fut à la pointe des combats ce jour du 28 mai.
Ils s’étaient déjà battus dans les mêmes lieux en mai 1916, Émile Brunot, dans une de ses lettres les plus terribles (2 juin 1916) parle de l’horrible fournaise. Il avait déjà failli y passer. Il est des lieux qui sont maudits !
Ressource
(1) Historique du 101ème Régiment d’Infanterie. La bataille du 28 mai 1917 est décrite page 45