Né en 1954, ingénieur des Mines de Saint-Etienne, j'ai été informaticien toute ma vie professionnelle. Après un début en société de services, j'ai travaillé dans l'informatique de Carrefour (Promodès avant sa fusion avec Carrefour) en interne puis comme prestataire IBM jusqu'à ma retraite officielle en 2017. Je vis actuellement en Saône et Loire à côté de Mâcon.

Ma mère Édith Renouleau, née en 1925, vivait avec ses parents à Bois-Colombes, en proche banlieue de Paris. En 1944, à la libération de Paris  ( (1) à (3) ), elle avait pratiquement 19 ans. Elle nous a souvent raconté cet épisode qui l’avait marquée, notamment le défilé sur les Champs-Elysées du 26 août 1944.

Plus tard, elle a écrit ses souvenirs.  Elle nous fait vivre ici  une page d’histoire en direct, c’est passionnant. J’ai retrouvé avec émotion  une  photo d’époque  où elle est prise avec un GI américain ce jour-là.  C’était une belle jeune-fille !

Michel Renouleau – revu le 18/04/2022             

Libération de Paris - Edith Renouleau avec soldat

Ma mère Édith Renouleau à droite sur la photo

Le 25 août 1944, fin de journée

C’est par la radio que nous devions apprendre la suite des événements et que le Général de Gaulle allait poser une gerbe sur la tombe du Soldat Inconnu le lendemain après-midi. Il n’était pas question de manquer un tel rendez-vous. Pas de transports en commun ? Pas d’autos ? Quelle importance ? Nous irions tout simplement à pied [*]. Il n’y avait qu’à partir de bonne heure ! Je téléphonai à mon amie Lilie . Elle serait heureuse, nous dit-elle, de nous accompagner. Nous nous donnâmes donc rendez-vous le lendemain matin au pont de Levallois.

[*] de Bois-Colombes où ils habitaient jusqu’à l’Arc de Triomphe, pas loin de 7 km à pied !

Le 26 août 1944

Avant le défilé

Le 26 août, journée mémorable entre toutes. Rien ne peut décrire l’intensité de nos émotions. Je rencontrai Lilie comme prévu et nous continuâmes notre route à trois [**]. J’avais emporté un appareil photo. C’est ainsi que fut immortalisée la rencontre de notre GI, Avenue de la Grande Armée, au milieu des camions de l’armée, stationnés là. Il avait l’air bien brave mais un peu dépassé par les événements, regardant d’un air ahuri tous ces gens qui voulaient l’embrasser. Dans l’émotion, je n’ai pas pensé à lui demander ses coordonnées pour lui envoyer une photo. Dommage ! Peut-être aurait-il été heureux plus tard de montrer comment il avait été embrassé par de belles Parisiennes !

Lilie, toujours raisonnable, nous quitta peu après pour le repas. Je ne sais si nous avions, ou non, emporté un casse-croûte. J’imagine que oui, mais c’est pure hypothèse. Dans un tel moment, ce détail était le cadet de nos soucis.  La foule commençait à croître. Voulant être aux premières loges, nous prîmes possession d’un banc sur les Champs, tout près de l’Etoile. Il ne resta pas longtemps inoccupé. Bientôt tout fut noir de monde. Plus question de nous asseoir. Si nous voulions voir quelque chose, il nous fallait une vue panoramique. Nous grimpâmes donc sur le banc et attendîmes « le Général ».

[**] Ma grand-mère, la maman d’Édith était avec elle.

Le défilé

Comment oublier de tels moments.  Le cortège, me semble-t-il, s’était formé spontanément. Rien de formel n’avait été prévu. Peut-être ne s’attendait-on pas à une telle foule. Le « Service d’ordre », si l’on peut dire, s’improvisa dans une douce pagaille. La haute taille du Général nous permit de bien le repérer. Nous ne connaissions pas encore ceux qui l’accompagnaient (Leclerc, Bidault et autres). La photo ci-dessous donne une bonne idée de l’improvisation du défilé. Tout le monde attend et semble perplexe, juste avant le départ.  Le banc sur lequel je me trouvais se trouve à gauche, tout près. Avec un champ plus large, j’aurais pu y figurer !

Libération de Paris - Défilé avec De Gaulle

Scène du défilé du 26 août 1944 avec le Général de Gaulle

Après le passage de de Gaulle, le défilé continua, composé de jeeps, autos, camions de toutes sortes. Quelle aubaine pour ceux qui, de spectateurs voulaient devenir acteurs. En une seconde, ce fut la ruée, chacun trouvant une place où se caser. Je voulus moi aussi suivre le mouvement. Stupéfaite, je me heurtai à un interdit catégorique de ma mère : « Dans de tels moments, on ne sait pas ce qui peut arriver », me dit-elle. Indignée, je commençais à discuter. Quand soudain des détonations retentirent. En une seconde ce fut la débandade générale.

 

Réfugiée dans le métro après les tirs

Par hasard, nous nous trouvions près d’une bouche de métro. De façon réflexe, nous détalâmes vers cet abri. Nous n’avions oublié que deux choses. Un, nous n’étions pas seules à avoir eu la même idée. Deux, le métro ne fonctionnait pas et les grilles étaient fermées. Arrivées en bas, constatant notre erreur, nous voulûmes remonter. Nous aperçûmes alors, horrifiées, la foule qui déferlait sur nous. Pendant une fraction de seconde, je me vis étouffée, piétinée. Jamais de toute ma vie, je n’ai cru voir la mort d’aussi près. Nous nous retournâmes vers les grilles pour chercher une issue.  À notre droite, un homme, les mains nues, se démenait pour les briser. Je ne sais comment il s’y prit, mais brusquement, la grille céda, et nous nous retrouvâmes propulsées à l’intérieur.

En une seconde, nous étions passées dans un autre monde.  À la violence et au bruit succédaient le calme et le silence. Quel contraste ! Nous restâmes quelques secondes hébétées à reprendre nos esprits. Je revois encore les trois couloirs, déserts, partant devant nous. Nous ne restâmes pas longtemps immobiles… Dehors, rien de grave ne s’était passé disait-on. Ma mère décida de remonter à la surface.

 

En route pour Montparnasse

Des amis de mon père tenaient un hôtel, Avenue du Maine, près de Montparnasse. Il avait été convenu que nous nous retrouverions tous chez eux, le soir même. En route donc pour Montparnasse. Nous étions en route depuis le matin sans nous être assises une seule minute, mais ne ressentions aucune fatigue, dopées par les événements et l’atmosphère unique que nous vivions.

Dehors, il y avait foule, chacun retournant comme nous, à pied, à son domicile. Pas de bruit suspect, mais ma mère, toujours prudente, m’avait dit d’ouvrir l’œil, de bien observer autour de nous et de repérer des refuges éventuels, si nécessaire. Heureusement, rien ne se passa. De temps en temps, des doigts se levaient vers les toits où des silhouettes se détachaient sur le ciel. Nous n’entendîmes, nous, aucun coup de feu et nous pûmes continuer notre chemin en paix. Il s’agissait probablement de curieux profitant de leur situation élevée pour jouir du panorama.

 

Au soir

Le soir, mon père nous raconta qu’il était devant Notre-Dame quand de Gaulle y arriva. Il entendit comme tout le monde les coups de feu, alors que de Gaulle venait d’y entrer. Il entendit ensuite la fusillade. Bien des questions se sont posées à leur sujet. Sont-ils partis tous au même moment ou se sont-ils propagés de proche en proche ? De Gaulle était-il dedans ou non ? Une constatation, il n’y eut aucun blessé par balle. Si le but avait été de nuire, il aurait été facile de faire un carnage, vu la densité de la foule, partout, à cette heure-là.

Chose étrange, je n’ai aucun souvenir de mes retrouvailles avec mon père, ni de la nuit chez nos amis. Seule reste la photo prise le lendemain matin à la porte de l’hôtel. Mes parents sont debout avec leur fille derrière une jeep sur laquelle on peut lire « A votre santé, ma chérie ». Un Leclerc, très probablement.

Ecrit par Édith Renouleau

 

Ressources

(3)     Le film culte  de Réné Clément, « Paris brûle-t’il ? »

Le film sorti en 1966 a été réalisé d’après le livre « Paris brûle-t’il » de Dominique Lapierre et Larry Collins. Une pléiade de grands acteurs joue dans le film. Toute l’histoire de la libération de Paris y est brillament racontée.

Bande annonce du film :